Entretien avec Mireille Urlus : l’assurance protection juridique en mouvement
L’assurance protection juridique est sous les projecteurs et fait face à de grands défis : changements sociétaux, augmentation des coûts et nouvelle législation. Mireille Urlus, présidente de la division protection juridique chez Assuralia et CEO d’ARAG en Belgique, partage sa vision sur les défis et opportunités.
Barbara Van Speybroeck (BVS) : La société évolue rapidement. Les nouvelles technologies et réglementations rendent les accords et contrats de plus en plus complexes. Cela entraîne-t-il un besoin accru d’assistance juridique ?
Mireille Urlus (MU) : Absolument, c’est un oui sans réserve. On constate que la complexité de notre société augmente, et même pour les juristes, il devient difficile d’être spécialiste dans tous les domaines. Pour les personnes sans formation juridique, il est encore plus difficile de s’y retrouver dans le dédale des lois changeantes, comme le RGPD et d’autres évolutions récentes. C’est pourquoi le besoin d’accompagnement juridique grandit, tant pour les entreprises que pour les particuliers. En tant qu’assureur protection juridique, nous nous orientons de plus en plus vers des services et un accompagnement supplémentaires, non seulement en cas de sinistre, mais aussi en prévention. La prévention est essentielle : bien rédiger un contrat évite bien des problèmes par la suite. Informer et accompagner les clients devient de plus en plus important, tout comme le recrutement de personnes ayant des spécialisations juridiques spécifiques.
BVS : Il existe le malentendu que la protection juridique ne couvre que les frais d’avocat. Comment gérez-vous cela ?
MU : Ce malentendu revient souvent, surtout dans la presse. Beaucoup pensent que la protection juridique se limite au paiement des frais d’avocat, mais notre rôle est bien plus large. Nous misons donc beaucoup sur la communication, tant envers les clients qu’auprès des canaux de distribution comme les courtiers. Dans nos polices et conditions, nous précisons que nous faisons bien plus que payer des frais. Lors de la souscription, la peur des frais de justice élevés joue souvent, mais en cas de conflit juridique, la plupart des gens ne souhaitent pas une longue procédure. C’est là que notre expertise en règlement à l’amiable intervient : la majorité des dossiers sont résolus à l’amiable, ce qui est souvent une expérience très positive pour le client. Nous communiquons à ce sujet avec des témoignages et des statistiques, et investissons dans des collaborateurs expérimentés, comme d’anciens avocats, pour offrir des solutions amiables de qualité.
BVS : La déductibilité fiscale des primes de protection juridique a récemment été supprimée. Qu’est-ce que cela signifie pour le secteur ?
MU : C’est un très mauvais signal, selon moi. Depuis 2019, les particuliers pouvaient bénéficier d’un avantage fiscal en souscrivant une police protection juridique étendue, mais cette mesure est supprimée rétroactivement à partir de janvier 2025. D’un côté, cela donne plus de liberté aux assureurs pour développer des produits sans exigences légales en matière de garanties, mais de l’autre, cela met la pression sur l’accessibilité des polices étendues pour la classe moyenne. Cet avantage fiscal était lié à l’ajout de garanties supplémentaires, comme les litiges de construction ou le divorce. Je constate que des conclusions et affirmations erronées circulent sur la tarification des primes à ce sujet. Le besoin d’accompagnement juridique augmente, tout comme les coûts des avocats et de la justice. La suppression de l’avantage fiscal rend plus difficile pour beaucoup de souscrire une police étendue. C’est dommage, car cela nuit à l’accessibilité au droit pour un grand nombre de personnes.
BVS : Remarquez-vous que cela a aussi changé l’intérêt pour le produit ?
MU : La combinaison de la suppression de la déductibilité fiscale et de l’augmentation des frais d’avocat a un double effet sur la prime. Je suis moins inquiète à ce sujet, car la pertinence et le besoin de protection juridique augmentent. C’est un moment qui peut stimuler notre créativité et notre innovation produit. Nous devons oser être plus innovants, toujours en plaçant le client et la prévisibilité du produit au centre.
BVS : Récemment, la couverture de la protection juridique a été étendue à la violence intrafamiliale, via une adaptation des règles de conduite. Était-ce un signal nécessaire ?
MU : Je pense que c’est un signal fort pour la société. Beaucoup d’assureurs avaient déjà des directives internes pour ne pas laisser les victimes de violence intrafamiliale sans soutien. Désormais, c’est une obligation dans les règles de conduite. Pourtant, les assurances ne peuvent résoudre qu’une partie du problème. La couverture ne s’applique qu’aux personnes ayant une police, et il y a des conditions strictes, comme une enquête en cours auprès du procureur. Il est important qu’il y ait aussi, en dehors de l’assurance, suffisamment d’accueil et d’accompagnement pour les victimes. Le problème est plus large que ce que nous pouvons résoudre en tant qu’assureur protection juridique. Nous offrons une plateforme et un soutien, mais la solution et l’encadrement des victimes doivent être recherchés plus largement.
BVS : Enfin, selon vous, quels sont les principaux défis pour l’avenir ?
MU : La digitalisation est un grand défi dans notre secteur. Nous pouvons encore progresser en matière de processus efficaces et d’échange d’informations. Le RGPD, par exemple, est nécessaire mais sa mise en œuvre ajoute de la complexité, risquant de manquer son objectif. Il existe une tension entre les besoins du marché, les possibilités de l’assureur et l’écosystème juridique. Tant dans le secteur qu’au sein de la justice, il y a encore beaucoup à améliorer. Nous devons continuer à plaider pour une digitalisation accrue et des adaptations logiques du cadre législatif.
De plus, l’accessibilité financière reste un grand défi, surtout avec la hausse des coûts. Nous devons aussi continuer à miser sur l’innovation et l’expertise. La gestion à l’amiable est notre grand atout : plus de 90 % des dossiers sont résolus sans intervention d’un juge. Cela soulage la justice et maintient l’assurance accessible. Il est important que tant le monde politique que les avocats reconnaissent cette valeur ajoutée et ce rôle sociétal. La gestion à l’amiable quand c’est possible, et la procédure judiciaire quand c’est nécessaire, permettent de maintenir l’accès au droit via la protection juridique pour tous.
L’importance de la gestion à l’amiable en protection juridique
La gestion à l’amiable est un pilier crucial de l’assurance protection juridique. Dans plus de 90 % des dossiers, une solution à l’amiable est trouvée. Cela offre de nombreux avantages : gain de temps, économies et réduction de la charge émotionnelle pour toutes les parties. En jouant un rôle de médiateur et d’accompagnateur, les assureurs aident leurs clients à résoudre rapidement et efficacement les conflits.
Cette approche soulage également le système judiciaire, de plus en plus confronté à une forte charge de travail. La gestion à l’amiable évite l’escalade inutile des problèmes juridiques et empêche les clients de s’enliser dans de longues procédures. Le succès de cette méthode souligne le rôle sociétal des assureurs protection juridique : ils sont bien plus que de simples payeurs de frais d’avocat, mais de véritables partenaires dans la recherche de solutions durables.
En misant sur la gestion à l’amiable quand c’est possible et sur la procédure judiciaire quand c’est nécessaire, la protection juridique reste accessible et abordable, rendant le droit accessible à tous.