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Les assureurs s’impliquent dans le bien-être mental

Sophie Maes

Début 2024, le secteur de l’assurance a entamé un nouveau partenariat dans le domaine de la prévention. Comme on le sait, Assuralia et les assureurs auto ont une expérience de plusieurs décennies dans la prévention des accidents de la circulation, avec comme principale vitrine le partenariat scellé dans le cadre des campagnes BOB. La fédération entame aujourd’hui une nouvelle histoire en collaboration avec les assureurs santé : la prévention des problèmes de santé mentale chez les enfants et les jeunes.   

Assuralia s’engage aux côtés de deux organisations très respectées. Du côté néerlandophone, le secteur s’associe au projet « Expeditie Geluk » du Vlaams Instituut Gezond Leven, qui promeut le bien-être mental dans les écoles primaires. Du côté francophone, la fédération soutient via le CRéSaM (Centre de Référence en Santé Mentale) des formations et des actions de sensibilisation pour le personnel enseignant des écoles. Ces deux projets ont pour but de créer au sein des écoles un environnement exerçant une influence positive sur le bien-être mental. « Expeditie Geluk » utilise à cette fin une approche ludique, tandis que le CRéSaM met l’accent sur la détection précoce d’éventuels problèmes.

Dans quelle mesure la prévention de la santé mentale est-elle indispensable à l’école ? Pour le savoir, Assuralia s’est entretenue avec une grande experte dans ce domaine, à savoir le Docteur Sophie Maes.

INTERVIEW

« La prévention doit s’adresser à tous les jeunes ! »

Le Dr Sophie Maes, pédopsychiatre (ULB), responsable pendant 25 ans de l’unité pour adolescents au centre hospitalier Le Domaine à Braine l’Alleud, est notamment l'auteure du livre édité par Yapaka « Covid-19 – l’impact sur la santé mentale des jeunes ». Étant donné le nouvel engagement d’Assuralia de soutenir des campagnes visant à promouvoir la santé mentale des jeunes en âge scolaire, nous donnons la parole à cette experte réputée afin qu’elle nous expose la dure réalité et les besoins concrets en la matière.

  • L'école a-t-elle un rôle à jouer dans la santé mentale des jeunes ?

Dr Sophie Maes : « Habituellement, l’école ne se préoccupe que peu de la santé mentale des élèves. Mais aujourd'hui, nous sommes vraiment dans une situation de crise.

En tant que pédopsychiatres, nous assistons depuis deux ans à un glissement de la symptomatologie de la souffrance des jeunes, qui se manifestait en général plutôt dans la sphère familiale, et qui aujourd'hui s’exprime au sein des établissements scolaires.

Nous entendons beaucoup de témoignages de jeunes, de parents, de professionnels de l'éducation quant à l'explosion de troubles anxieux au sein des établissements scolaires, de décrochages scolaires extrêmement massifs, qu'on n’avait jamais connus auparavant.

On constate également des troubles dépressifs, des jeunes qui se scarifient au sein des établissements scolaires, des jeunes qui font des tentatives de suicide. Nous assistons aujourd'hui à quelque chose de particulier où les jeunes sont en train d'exprimer via les écoles une souffrance psychique importante. »

  • La prévention manque-t-elle au sein des établissements scolaires ?

Dr Maes : « Que peut-on faire en matière de santé mentale dans les écoles ? Tout d’abord, il serait intéressant de dispenser une connaissance théorique en matière de prévention en santé mentale, et développer des dispositifs de soutien psychologique, mais ce n’est pas suffisant. Si on veut vraiment faire de la prévention, il s’agit de s’adresser à tous les élèves et de ne pas faire que de la détection précoce comme le gouvernement tend à l’encourager.

Je pense aujourd’hui qu’il est important de se rendre compte, quand on atteint des taux d’anxiété de 50 % chez les étudiants des écoles supérieures et des universités, qu’il faut que l’on arrête les interventions curatives systématiques, que l’on arrête de miser uniquement sur la détection et que l’on donne priorité à la prévention. « 

  • Que faut-il faire ?

Dr. Maes : « Il faut permettre l’expression émotionnelle des jeunes entre eux, soutenir le vivre ensemble, avoir des groupes de parole réguliers hebdomadaires, dans le cadre des grilles horaires, afin de permettre aux jeunes de reconstruire un lien à l’autre, un lien qui a été particulièrement abîmé lors de la crise sanitaire. On se rend compte aujourd’hui encore que ce lien a du mal à se reconstruire pour toute une série de raisons. 

La pandémie de coronavirus a accentué le problème, mais on est dans une société très individualiste où le lien à l’autre tend à se perdre. En dépit de la facilité de communication qu'offrent les nouvelles technologies, le lien à l'autre se perd. Il y a une deshumanisation du lien à l’autre à tous niveaux. 

Il est donc important que l’école mette en place quelque chose pour remédier à cette situation. D’autant plus que les jeunes font face à une crise du futur qui impacte leur motivation à apprendre. »

  • Le futur des jeunes comporte beaucoup d’insécurité ?

Dr Maes : « On a une insécurité de base de plus en plus forte du côté de la jeunesse. En lien avec les grands enjeux mondiaux, dont la crise climatique, avec les annonces qui sont loin d’être sécurisantes, et de l’influence de l’IA et de ses conséquences sur le marché de l’emploi.

Dans quelle mesure est-ce que l’école fait sens pour nos jeunes à partir du moment où l’insécurité est à ce point importante par rapport aux efforts scolaires demandés ? C’est un grand débat. Et si l’école ne prend pas en charge la réflexion autour de cette question, nous allons les perdre de plus en plus, les jeunes. Nombre d’entre eux ne trouvent plus de sens dans l’école et donc, il y a énormément de décrochages. »

  • En quoi consiste une bonne prévention auprès des jeunes ? 

Dr Maes : « Parmi les bons exemples figurent les techniques qui sont utilisées dans les écoles de pays de l’Europe du Nord, à savoir prévoir des temps de parole et d’expression qui permettent aux jeunes de vivre des expériences ensemble et de se les partager, de développer toutes les compétences d’expression émotionnelle, de ressenti, de partage, d’ouverture à l’autre, d’empathie, et d’améliorer leurs capacités de vivre ensemble. De vivre avec soi-même et de vivre avec l’autre sur le plan relationnel, affectif et émotionnel. 

Notez-le bien, la prévention doit s’adresser à tous les jeunes ! Faire de la prévention en santé mentale auprès des jeunes, c’est travailler sur du collectif et aussi investir du temps dans cela. Je suis bien placée pour le savoir : les entretiens miraculeux, cela n’existe pas. En matière de santé mentale, nous sommes toujours dans un processus. Il faut donc que cela s’inscrive dans la durée, dans le temps et ce sont des espaces de parole réguliers qui vont permettre effectivement d’avoir un véritable effet sur la santé mentale. Et là, il s’agit de l’inscrire dans un horaire, mais on est face à un régime scolaire qui est très difficile à changer. » 

  • Les campagnes soutenues par Assuralia visent les écoles primaires. A quoi faut-il rester très attentif lorsqu’il s’agit d’enfants de 6 à 12 ans ? 

Dr Maes : « Vers l'âge de 6-7 ans, les enfants expriment une difficulté d'ordre psychologique souvent par des plaintes somatiques telles que maux de ventre, maux de tête, etc. Mais ils sont souvent déjà capables d’exprimer un ressenti difficile et de le partager avec leurs parents pour autant qu'ils sentent ceux-ci disposés à leur répondre et disponibles. 

Cette capacité d'expression se développe avec l'âge, mais ce sont également les résultats scolaires qui peuvent de plus en plus souvent témoigner d'un mal-être ou d'une préoccupation qui déborde l'enfant et le rend moins disponible aux apprentissages. 

Le harcèlement scolaire est plus présent en fin de primaire et au début du secondaire, entre 10 et 14 ans. Généralement, l'enfant n'en parle pas facilement, à cause de sentiments de honte et d'impuissance. Parler avec l'enfant de l'existence de telles situations est une manière de faciliter une prise de parole ultérieure en cas de nécessité. La perte répétée de matériel scolaire, la réapparition de plaintes somatiques les matins d'école, sont également des symptômes d'appel à relever. 

Enfin, dès l'âge de 9 ans, un enfant peut être confronté à des images pornographiques sur les réseaux sociaux ou en cours de récréation. Il est également important d'aborder également avec lui ou elle cette possibilité en l'encourageant à s'en protéger en détournant le regard puis en en parlant : la frontière entre la sexualité infantile, juvénile et adulte se doit d'être respectée. » 

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