Travailler ensemble pour la sécurité : le rôle des assureurs dans la prévention des accidents du travail
Laureen Steinier est conseillère accidents du travail chez Assuralia. En cette qualité, elle est chargée de conseiller et d’accompagner les entreprises d’assurances sur le plan de la législation relative aux accidents du travail et des questions qui y sont liées. Laureen répond à cinq questions concernant la prévention des accidents du travail et comment les entreprises d’assurance contribuent à améliorer la sécurité au travail.
En dix ans le nombre d’accidents du travail a diminué. Est-ce le reflet d’une amélioration du niveau de sécurité au travail ?
Lorsque l’on compare les derniers chiffres disponibles (2023) à ceux d’il y a dix ans, on remarque en effet une nette diminution du nombre de déclarations d’accidents du travail. On remarque que les accidents du travail graves suivent cette même tendance à la baisse. En 2023, le nombre absolu d’accidents graves et très graves dans le secteur privé était de 8.173, alors qu’en 2013 on en comptabilisait 10.036.Une telle baisse peut s’expliquer par une multitude de facteurs.
Le renforcement des obligations pesant sur les employeurs en matière de santé et de sécurité au travail, l’usage de nouvelles technologies et l’automatisation de tâches dangereuses, ainsi que la sensibilisation et la formation des travailleurs ont contribué ces dernières années à créer une culture de sécurité au sein des entreprises.
Cependant, on observe aussi une évolution du marché du travail avec une diminution des activités et industries à risque au profit d’une augmentation de l’emploi dans le secteur tertiaire. Par ailleurs, cette baisse du nombre de déclarations d’accident s’est très nettement accentuée avec la généralisation du télétravail depuis la crise de Covid 19, et qui a tendance à perdurer depuis lors.
En revanche, le nombre d’accidents sur le chemin du travail est reparti à la hausse depuis la fin de l’épidémie de Covid 19. En 2023, une hausse de 5% du nombre total d’accidents sur le chemin du travail acceptés est enregistrée par rapport à 2022. En dix ans, les accidents sur le chemin du travail ont augmenté de 21,6%. Or, on constate que les entreprises peinent à les intégrer au sein de leur politique de prévention et pensent parfois, à tort, qu’elles n’ont pas de rôle à jouer à cet égard.
Comment est évaluée la gravité d’un accident du travail et quels facteurs jouent un rôle dans ce cadre ?
La législation sur le bien-être au travail introduit une distinction entre les accidents du travail graves, très graves, les accidents bénins, et les autres accidents du travail.
L’accident du travail qualifié de grave requiert un traitement et une attention spécifique. Il doit notamment être examiné immédiatement par le service de prévention compétent, et faire l’objet, dans les dix jours de la survenance de l’accident, d’un rapport circonstancié transmis à l’inspection du travail.
C’est le Code du bien-être au travail qui identifie les critères des accidents du travail graves. Cette qualification s’opère en fonction des conséquences de l’accident. Il s’agit de l’accident du travail mortel, ainsi que l’accident du travail qui a un lien direct avec une déviation reprise à l’annexe I.6-1 du Code du bien-être au travail (p.ex. chute de hauteur, perte de contrôle, déviation par problème électrique..), ou avec un ou plusieurs agents matériels mentionnés à l’annexe I.6-2 (p.ex. substances chimiques, explosives, radioactives ; véhicules terrestres ; animaux..), pour autant qu’il ait donné lieu à une lésion permanente ou une blessure temporaire reprise à l’annexe I.6-3 (p.ex. amputation, brulures, empoisonnements aigus..).
Les accidents du travail légers, ou bénins, ne doivent en revanche pas être déclarés à l’employeur. L’employeur a cependant une obligation de tenir un registre des interventions de premier secours.
Quelles sont les causes les plus fréquentes d’accidents du travail en Belgique, et comment les assureurs peuvent-ils aider les entreprises à réduire le risque d’accidents ?
En ce qui concerne les causes des accidents du travail, on observe des différences assez marquées entre les accidents survenus dans le secteur public et dans le secteur privé.
Dans le secteur privé, on trouve parmi les causes les plus fréquentes : la glissade ou le trébuchement avec chute, le mouvement du corps sans contrainte physique, et la perte de contrôle de machine. Il s’agit d’une tendance relativement constante.
Dans le secteur public, les glissades et trébuchements restent en tête, mais sont suivis par des agressions et violences. On constate que cette cause est en hausse depuis 2021, alors qu’elle est beaucoup plus rare dans le secteur privé (4,9%).
Pour les accidents sur le chemin du travail, les causes sont assez similaires, à savoir la perte de contrôle de machine ou véhicule, suivi des glissades et trébuchements. Cependant, on observe déjà depuis quelques années une très forte augmentation des accidents sur le chemin du travail impliquant des engins de mobilité « douce » (vélos, trottinettes, speed-pedelecs..). Les lésions observées suite à ces accidents sont globalement plus graves.
Pour sensibiliser les employeurs, les assureurs ont développé de multiples outils (fiches info, check-lists, tests et quiz..) qui sont mis à leur disposition et sont facilement réutilisables et intégrables au sein de leur politique de prévention, outre une offre de formations, d’aide à la rédaction d’un plan de prévention etc. Les assureurs travaillent également en partenariat avec les agences fédérales et régionales comme VIAS, VSV ou l’AWSR pour compléter leur offre.
Un écueil majeur reste cependant l’absence d’autorité de l’employeur, qui ne peut contraindre les travailleurs de suivre des formations en matière de sécurité sur le chemin du travail qui reste de l’ordre de la sphère privée, contrairement à la sécurité sur le lieu du travail, dont la responsabilité incombe à l’employeur.
Peux-tu nous expliquer en quelques mots qui est précisément Fedris et quel rôle elle joue dans la prévention des accidents du travail ?
Fedris est l’agence fédérale des risques professionnels, et a repris les missions respectives de l’ancien FMP (Fonds des maladies professionnelles) et du FAT (Fonds des accidents du travail). Concernant les accidents du travail, les missions de Fedris sont multiples: le contrôle technique et médical de l’indemnisation des accidents du travail par les assureurs et le traitement des plaintes des victimes y relatives (qui n’est pas du ressort de l’Ombudsman des Assurances), l’entérinement des accords-indemnités, l’indemnisation en cas de défaut d’assurance, la réparation des accidents du travail survenus aux gens de mer,
Fedris joue également un rôle en matière de prévention des accidents du travail, grâce aux informations disponibles dans sa banque de données, ce qui permet notamment de soutenir les actions de prévention du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale ainsi que d'autres organismes de prévention. Par ailleurs, Fedris identifie les entreprises considérées comme présentant un « risque aggravé » lorsque leur indice de risque dépasse les moyennes fixées, ce qui donne lieu à la mise en place d’un suivi de l’entreprise.
Comment Assuralia participe-t-elle à la création d’une culture de prévention dans le milieu du travail?
En 2022, Assuralia a collaboré avec le Consortium de validation des compétences pour sensibiliser quant aux avantages de l’accomplissement de formations et de l’obtention d’une certification des compétences pour certains métiers.
Nous avons par ailleurs démarré une étude sectorielle en 2024 relative aux accidents sur le chemin du travail causés par la mobilité douce, et qui sera réitérée cette année. Nous souhaitons profiter de la publication des résultats de cette étude pour sensibiliser les employeurs et travailleurs aux dangers des nouvelles formes de mobilité et responsabiliser ceux-ci. L’aide et les outils des assureurs sont là, encore faut-il que l’on souhaite s’en saisir et que tout le monde accepte de jouer le jeu.
Nous collaborons également avec Fedris, notamment dans le cadre du Comité technique de la prévention, au sein duquel des réflexions sont menées en matière de prévention des accidents du travail. Actuellement, différentes propositions de mesures y sont à l’étude, en concertation avec le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, notamment pour améliorer la prévention des accidents graves. Celles-ci portent entre autres sur l’amélioration de l’exploitation des données issues des rapports circonstanciés pour permettre des analyses plus précises sur les causes des accidents du travail graves. L’absence de données structurées complexifie en effet leur traitement statistique. Les outils d’intelligence artificielle pourraient en revanche offrir de nouvelles perspectives pour aider à structurer et exploiter ces données, toujours dans le but d’améliorer la prévention.